
"La perte (ou l'abandon, si l'on se place du côté des partisans de l'Algérie française) de cet immense territoire longtemps considéré comme partie intégrée de la France se vit encore comme blessure de l'orgueil national ; elle marque la crise du jacobinisme français, obligé d'admettre cette "amputation" de la nation, une et indivisible. A ce désarroi du nationalisme colonisateur, il faut ajouter un autre facteur. Si la mémoire des "années algériennes" se manifeste avec une telle vigueur, c'est tout simplement à cause de la présence, de la puissance physique de ses acteurs : un million de pieds-noirs et leurs enfants, un million et demi de soldats ayant combattu ou simplement vécus en Algérie parfois deux ou trois ans, un million d'immigrés algériens et leurs enfants d'aujourd'hui (les "beurs"), les dizaines de milliers de harkis..."
Le transfert d’une mémoire – de l’Algérie française au racisme anti-arabe, Benjamin Stora (La Découverte, 1999)